Archives de catégorie : Les raccordements

La Passerelle

QUI A FAIT QUOI ?

C’est la volonté de sauver la Passerelle de la destruction – nous y reviendrons un peu plus loin – qui a poussé à désigner l’ouvrage par le terme de « Passerelle Eiffel ». On a entendu à l’époque quelques protestations, car le vrai concepteur de la Passerelle est l’ingénieur Paul Regnauld. Mais une communication sur la « Passerelle Regnauld » n’eut pas obtenu l’effet escompté… Quelques uns ont également voulu minorer le rôle de Gustave Eiffel ; à les en croire, s’il n’était pas ingénieur et concepteur de la Passerelle, c’est donc qu’il n’était qu’un modeste chef d’équipe.

La vérité est que son employeur, Charles Nepveu, lui confia en totalité la réalisation du chantier, le laissant libre d’opérer à sa manière pour construire l’ouvrage. A seulement 26 ans, et alors que la technique de la construction métallique est une nouveauté en France, on ne peut pas dire que ça soit une petite responsabilité.

L’évocation trop succinte des rôles des uns et des autres a également entraîné une confusion entre la hiérarchie de la Compagnie du Midi et celle de la Compagnie Générale des Matériels de Chemins de Fer, laissant imaginer une sorte de concurrence entre Régnauld et Eiffel. Or l’un et l’autre ne sont pas dans la même chaîne hiérarchique, comme le montre le tableau ci-dessous :

Eiffel n’avait donc de comptes à rendre qu’à Charles Nepveu. Lequel lui faisait totalement confiance. Régnault avait conçu et dessiné les plans de la Passerelle ; Eiffel dessine les plans d’exécution. Ce sont deux tâches distinctes, et l’exécution ne nécessite pas moins de talents.

La construction commence en 1958. Eiffel applique alors des principes de base déjà connus depuis une vingtaine d’années, ce qui est rapide  en matière d’évolution architecturale :

  • la construction à croisillons : appliquée aux constructions en bois, elle est connue depuis des siècles. C’est en Angleterre qu’on l’applique pour la première fois en 1844 (pont en treillis de l’ingénieur Harrisson), puis en France en 1857 avec le Pont de Culoz). Eiffel innove en standardisant la production des pièces afin d’accélérer la production, et en installant une riveteuse mécanique sur la rive droite de la Garonne.
  • le fonçage des piles à l’air comprimé : sitôt Eiffel recruté, Nepveu lui enseigne cette technique, consistant à chasser de l’air dans le tube métallique de la pile, fin que les ouvriers travaillent à pied sec. Eiffel va accélérer le processus en appuyant sur le tube à l’aide d’une presse à vapeur. Dans son Traité sur les ouvrage métalliques, Régnauld lui-même explique combien le procédé mis au point par Eiffel est novateur.

Le pont est inauguré en la fête de l’empereur Napoléon III, le 15 août I860. Pour l’occasion, les extrêmités de la Passerelle arborent, au nord les armes de Paris, au sud les armes de Madrid. Le tout sur un surprenant et imposant décor de tours médiévales, réalisé en bois, comme on le voit sur cette photo de l’épreuve du viaduc de Paludate. Style médiéval qui est en réalité en totale homogénéité avec les piles du pont ornées d’imitations de machicoulis et  bandes lombardes.

« PASSERELLE » ?

On a pu lire assez fréquemment que ce terme est dû à la galerie servant de passage pour les piétons, qu’Eiffel posa en 1862 suite à la demande des bordelais. Explication qui ne trouve sa source dans aucun document.

En revanche on trouve, dès 1846 un plan où l’emplacement du pont ferroviaire est déjà désigné par le terme de « Passerelle ». Soit quatorze ans avant sa construction, et deux ans après le premier pont anglais en treillis. Les ingénieurs savent déjà que le futur pont aura une incomparable apparence de légèreté. Il s’en suivra que, pour cette raison, et jusque dans les années 1900, tout passage supérieur métallique en France sera désigné sous ce terme. Le tablier rectiligne et l’absence d’arches de pierre justifie le qualificatif.

Le terme de « passerelle » sera même utilisé à tort et à travers pour tout ce qui sera assimilé à un passage réalisé dans une technologie légère et audacieuse. La Cie du Midi tardant à s’engager sur la construction du nouveau pont, un journaliste écrira « La Cie du Midi se traîne d’atermoiement en atermoiement (..) elle amuse le public par des simulacres de chaînes sans fin et de passerelles sous-marines« .

Bien plus tard, alors qu’Eiffel a terminé son chef d’œuvre parisien, un compositeur béglais, Lodoïste Lataste, écrit dans son ode à Bordeaux :

Salut, beau viaduc jeté sur la Garonne
Imposant et léger comme un arc-en-ciel
Celui qui te conçut a parfait sa couronne
En créant à Paris la belle Tour Eiffel.

La comparaison avec un arc-en-ciel éclaire parfaitement le terme de passerelle, qui pré-existait à l’ouvrage d’art.

LE PERSONNAGE

Eiffel est un authentique meneur. Il n’est pas homme à se laisser faire, et on peut croire que, selon l’expression populaire, il fallait que ça marche droit.

Mais Eiffel compense aisément sa rigueur par un profond sens humain. Un jour un ouvrier tombe dans la Garonne : c’est Eiffel qui saute dans le fleuve pour le sauver ! Une autre fois, un accident sur une pile cause la mort d’un ouvrier : Eiffel stoppe le chantier pendant plusieurs jours pour trouver la cause. Qui restera non élucidée. Eiffel gagne définitivement le respect de tous.

A l’issue du chantier, les ouvriers offrirent à Eiffel une coupe en bronze, ainsi qu’une médaille sur laquelle ils avaient fait inscrire « Hommage – Reconnaissance ». Mais déjà les frères Péreire avaient remarqué le jeune chef de chantier, et allaient en faire l’ingénieur que l’on sait.

SAUVER L’OUVRAGE

Peu après sa fermeture au trafic, l’ouvrage fut menacé de destruction. A l’époque Réseau Ferré de France considérait, non sans raisons, qu’un pont coupé du réseau n’était plus son affaire. Le coût d’entretien ne pouvait être à sa charge, mais du côté de Bordeaux-Métropole on n’en voulait pas non plus.

C’était oublier un peu vite que la Passerelle est dans le périmètre UNESCO. Son sous-directeur général, Francesco Bandarin, passant à Bordeaux, avertit publiquement que si la Passerelle était détruite, Bordeaux serait déclassé ! L’argument fit du bruit !

D’autant que peu de temps avant, le dernier « pont à culasse » de France, aux bassins à flot, dont la préservation était souhaitée par le Ministère de la Culture, avait été détruit promptement… Il valait donc mieux avertir en clair.

Myriam Larnaudie-Eiffel, descendante bordelaise de Gustave, se chargea donc d’organiser la défense de l’ouvrage en fondant une association dédiée à cet objectif. Pour que le projet ait un nom qui frappe les esprits, il fallait d’une part parler aux bordelais en utilisant le nom qu’ils utilisent  et y accoler le nom du célèbre ingénieur. Ainsi est né le terme de « Passerelle Eiffel ».

Pendant un certain temps différents projets, plus ou moins loufoques, ont été envisagés. Pendant un temps la Passerelle faillit être démontée par un puissant groupe américain pour être réassemblée aux USA. Un architecte parisien, désireux de faire parler de lui, pensa pouvoir dresser la Passerelle verticalement pour en faire une tour de 500 m. de haut ; il évita de préciser combien de maisons il comptait détruire pour ancrer au sol les indispensables haubans nécessaires à sa stabilité…

Aujourd’hui les projets de réhabilitation de l’ouvrage ne sont pas tous respectueux de son esthétique ni de son histoire. Certains veulent y mettre des bureaux, détruisant la perspective intérieur de l’ouvrage ! Il serait bien plus approprié de lui conserver son volume intérieur qui est un spectacle en soi, et restitue l’esthétique que connut Gustave Eiffel.

Alain Cassagnau

Bordeaux-Benauge

« Bordeaux-Benauge », ce n’était pas qu’une gare. Certes le bâtiment des voyageurs était le point de repère essentiel du site, mais on trouvait tout autour diverses installations apparues à des époques différentes :

  • le passage-à-niveau de La Benauge
  • le départ de la ligne de Bordeaux-Eymet
  • la bifurcation des directions Paris et Nantes
  • le raccordement de la gare d’Orléans
  • le raccordement de la gare de l’Etat
  • le tiroir de manœuvre de l’Etat
  • l’embranchement de l’usine Cacolac

Lorsqu’on considère le vide intégral qui a remplacé ces installations, il y a de quoi rester songeur sur l’évolution des transports en un demi-siècle. L’actuel projet de re-création d’une ligne de transports en commun à travers La Bastide, au regard des démolitions successives, laisse un goût un peu amer… Quelle est la bonne politique de transports ? Celle des années 50, ou celle d’aujourd’hui ? Mais revenons à l’Histoire…

Avant d’évoquer l’apparition de cette gare, il est intéressant de voir dans quel contexte elle est apparue.

En 1860 la Passerelle est construite. Durant une année c’est un simple raccordement, filant en ligne droite jusqu’à La Benauge, où la gare n’existe pas encore, puis s’incurvant en direction de la Gare d’Orléans (aujourd’hui Mégarama). Les trains venant de la Gare St-Jean se retrouvaient donc Gare d’Orléans avec la locomotive contre les heurtoirs. Ce qui fait perdre du temps pour repartir en sens inverse vers Paris.

Aussi, dans le même temps, réalise-t-on un raccordement direct de la Passerelle vers les tunnels de Lormont. Il est mis en service en 1861, coupant la route vers Cenon (rue de la Benauge côté Bordeaux, et cours Gambetta aujourd’hui côté Floirac), et donnant naissance au passage-à-niveau de La Benauge, devenu fameux en raison de son importance.

En 1873 la création de la ligne de Bordeaux à La Sauve implante une gare en contrebas de La Passerelle, entre le pont et la rue Marcel Sembat, au bord du quai de la Souys. Cette situation lui vaut d’ailleurs le nom de « Gare de Bordeaux-Passerelle ». La ligne partait parallèlement à la ligne de Paris, puis s’incurvait à 90 ° en direction du sud-est, vers La Souys.

La ligne Bordeaux-Passerelle – La Sauve devient propriété de la Compagnie des Charentes en 1874, puis du Réseau de l’Etat en 1878. Une première inter-connexion est réalisée à La Benauge, permettant une circulation directe depuis Bx-Passerelle vers Paris et la Gare d’Orléans. Ce tracé a laissé une empreinte définitive que l’on voit encore aujourd’hui dans les vues aériennes.

Mais en 1883 le P.O. récupère la ligne. Cette compagnie ne trouve aucun intérêt à ce raccordement, du moins tel qu’il est : elle le remplace par un raccordement direct de La Benauge vers La Sauve, de sorte que des trains venant de la Gare d’Orléans (Mégarama) puissent traverser la ligne Bordeaux-Paris et filer directement en direction de La Sauve. Les grands axes ferroviaires de La Benauge sont désormais posés.

Du même coup le Réseau de l’Etat perd ses installations à Bordeaux, et ne peut plus parvenir à cette ville que par les gares d’Orléans et du Midi, ce qui lui impose de payer des redevances à ces deux compagnies. Il décide donc de construire en 1878 sa propre gare sur le Quai Deschamps (emplacement des pompiers de La Benauge). Le raccordement de cette gare à la ligne de Paris ne peut être fait qu’à La Benauge. La situation devient alors suffisamment complexe pour qu’un bâtiment soit construit afin de gérer ce nœud de connexion entre le Midi, le Paris-Orléans et l’Etat. Comme ce dernier réseau est la cause de cette évolution, c’est l’Etat qui fait construire le bâtiment. Le chantier est réalisé en même temps que celui de la Gare de Bordeaux-Etat, donc en 1878.

Ainsi est réalisé ce qu’on appelle désormais la « Gare de Bordeaux-Benauge ». En réalité, bien que très importante au plan fonctionnel, ses caractéristiques de « gare » ne sont pas évidentes. Pour le savoir, il faut considérer sa capacité à « garer » des trains, qui n’est pas évidente de prime abord puisque cette gare ne semble pas pourvue de voies de garage. Pourtant, il y a bien des trains qui s’y garent :
– au quai de la ligne de La Sauve la voie est dédoublée, permettant ainsi le garage des trains pour qui La Benauge est le terminus
– en face de la cour de la gare de Bx-Benauge, l’Etat a créé une voie en impasse qui permet de garer les trains en direction du sud (il n’y a pas de raccordement direct entre Bx-Etat et Bx-St-Jean). De toute évidence, cette capacité de garage est gérée par Bx-Benauge.

Dans les années 30, au même emplacement, s’ajoute enfin l’embranchement privé des usines Cacolac.

Les installations sont alors assez simples, mais le trafic est intense : la Gare de La Benauge voit passer les trains reliant Paris et Bordeaux St-Jean ; Nantes et Bordeaux-Etat ; Eymet et Bordeaux-Bastide (gare d’Orléans) ; et quelques rames entre cette dernière gare et Bordeaux-Passerelle ainsi qu’entre Bordeaux-St-Jean et Bordeaux-Bastide. Une petite gare, donc, mais absolument vitale pour le trafic ferroviaire bordelais.

Mais la grande époque du chemin de fer prend fin…

En 1938 la toute jeune SNCF ne voit pas l’intérêt d’avoir une gare de chaque côté de la Garonne, la gare de Bordeaux-Bastide, ex Orléans, et réduit le trafic voyageurs à peu de choses. En 1951 le trafic voyageurs est définitivement abandonné pour les gare de Bordeaux-Bastide (Orléans) et Bordeaux-Passerelle, et la ligne de cette dernière est coupée à partir de Sauveterre. En 1954 le raccordement vers la Gare d’Orléans est supprimé pour laisser place à la rue Galin. En 1987 l’ex ligne de La Sauve est coupée à partir d’Espiet.

La gare de Bordeaux-Benauge connaissait encore quelques dessertes de trains régionaux, et quelques arrêts de trains de grandes lignes jusqu’en 2007, année où la mise en service de la Halte de Cenon entraîne sa fermeture.

La Gare de Bordeaux-Benauge vue d’une machine à vapeur en 2007 (extrait d’une vidéo).
Vue de l’intérieur de la gare de Bordeaux-Bastide quelque jours avant sa démolition. La « palette » du chef de gare est conservée par notre association.

En 2011 la gare est détruite.

Il n’en subsiste que l’une des inscriptions, sauvée grâce à l’initiative d’ingénieurs de RFF, relayée par une coordination entre un membre de notre association et Mme Agnès Vatican, alors Conservatrice des Archives Municipales, lesquelles aujourd’hui en assurent encore la préservation. Gageons qu’un jour nous pourrons redonner une visibilité à ces reliques.

Les voies des quais – rive gauche

La Compagnie du Midi, ayant construit la gare St-Jean en 1855, commença à poser un embranchement sur les quais en 1863. La même année elle avait atteint la rue Raze sur le Quai des Chartrons. Les voies des quais ont atteint les Bassins à flot au plus tard en 1882.

Un raccordement avec la gare Saint-Louis était nécessaire, mais malgré ses promesses la Compagnie du Médoc n’avait pas entrepris ce chantier. Le conflit entre les deux compagnies ne tarda pas. Mais le raccordement, lui, dut attendre 1890.

En 1904 la construction du 2ème bassin à flot provoque l’engorgement des quais, et il devient évident qu’il fallait dévier le trafic par un contournement de Bordeaux. La Compagnie du Midi obtint la concession d’une ligne de ceinture , puis en 1912 la Compagnie du Médoc est intégrée à celle du Midi, qui a désormais les coudées franches.

Les voies des quais deviennent une simple desserte portuaire, mais elles resteront encore très actives jusqu’aux années 60.

Le raccordement de la ligne d’Eymet

C’est peu de chose que ce raccordement, mais sa configuration a souvent été modifiée. A la base, il s’agit, au départ de la petite gare de Bordeaux-Passerelle, de pouvoir partir aussi bien vers l’Entre-Deux-Mers (direction sud-est) que vers le quartier de La Bastide (direction nord-ouest).

Mais lorqu’en 1883 la Compagnie du Paris-Orléans récupère la ligne, il devient nécessaire de la relier directement avec la Gare d’Orléans, ce que la compagnie obtient en modifiant le raccordement, de sorte qu’un train arrivant de l’Entre-Deux-Mers puisse soit partir en direction de Paris ou Nantes – ce qui s’est sans doute rarement produit – soit traverser la ligne Bordeaux-Paris pour emprunter le raccordement vers la Gare d’Orléans.

La gare de Bordeaux-Passerelle perdit ainsi une grande part de son trafic, désormais restreint à certaines marchandises lourdes telles que le vin, le bois et la pierre. Tout le reste, passagers et produits fermiers, aboutissant directement à la Gare d’Orléans.

La description de l’évolution de l’embranchement est assez difficile à faire ; nous devions publier des schémas, mais ce projet a du être repoussé…

Les raccordements Midi – P.O.

Le premier grand raccordement de Bordeaux a été construit en 1860. Il est connu surtout en raison d’un des deux passages-à-niveau qui traversaient l’avenue Thiers, et que l’on appelait « première barrière ».

Mais il faut rappeler qu’il fut construit en même temps que la Passerelle, et qu’il n’existait, cette année-là, que ce raccordement pour traverser la Garonne entre la Gare St-Jean et la Gare d’Orléans. De ce fait, la Passerelle elle-même n’était qu’une partie du raccordement.

La Gare d’Orléans étant en impasse, tout train y arrivant se retrouvait avec sa locomotive contre les heurtoirs, et la rame devait être soit reprise à l’autre extrémité par une autre locomotive, soit repartir en marche arrière.

Cette situation incommode ne dura qu’un an. En 1861 fut construit le raccordement direct du Midi au Paris-Orléans, donc directement de la Gare St-Jean vers le nord. Cela ne pouvait que provoquer le déclin de la Gare d’Orléans, tout au moins pour ce qui concerne le trafic des voyageurs.

Cet second embranchement est connu pour son passage-à-niveau dit « seconde barrière » sur l’avenue Thiers. Lorsque le Tramway de Beychac et Caillau devait le traverser, le garde-barrière devait manœuvrer non seulement la barrière, mais aussi un dispositif permettant le croisement des caténaires. Pour cela, il alimentait la partie centrale de ce croisement tantôt en 750 volts, tantôt en 1500 volts, selon que passait le tram ou le train. Et arriva ce qui devait arriver, le garde-barrière oublia un jour de manœuvrer le dispositif, et la motrice du tramway encaissa le double de la tension normale, grillant le moteur instantanément.

En 1954 ces deux raccordements furent supprimés, et remplacés au nord par deux nouveaux raccordements près du ruisseau appelé « Le Captaou » (rues Jules Guesde et Charles Chaigneau) et des Chantier de la Gironde.

La Ceinture de Bordeaux

La ligne de Ceinture est née de la nécessité de relier commodément la Gare du Midi à la Gare du Médoc. Ce lien n’était jusqu’alors possible que par la voie des Quais, ce qui était très lent en raison de toutes sortes d’encombrements.

La réalisation de la Ceinture aurait pu aboutir vers 1914 s’il n’y avait eu le conflit armé. En attendant, le projet reçoit le nom de « Ligne de jonction de Bordeaux des chemins de fer du Midi et du Médoc », et encore n’y avait-il qu’une seule voie, utilisée pour le trafic marchandise. Elle ne connaîtra de vrai trafic qu’en 1917, pour les trains militaires.

Il faut attendre 1921 pour qu’elle voit passer un premier train de voyageurs, parti de la gare St-Louis, composé de trois voitures à bord desquelles on compte six passagers !

La Ceinture connaît deux gares intermédiaires : Talence-Médoquine, qui doit son nom assez curieux au fait qu’elle est, par anticipation, la porte vers le Médoc, et la gare de Caudéran-Mérignac.

Mais si la seconde a toujours connu un trafic voyageurs, la SNCF en a privé la Gare de Talence à partir de 1949, ce qui lui vaut d’être pourvue d’un quai à voyageurs désespérément vide, même si un guichet de vente de billet est resté ouvert jusque dans les années 2000 ! L’époque actuelle se prêtant à un retour de la desserte de cette gare, la pression se fait de plus en plus forte sur la SNCF, qui pour l’instant se fait tirer l’oreille…

La Passerelle

QUI A FAIT QUOI ?

C’est la volonté de sauver la Passerelle de la destruction – nous y reviendrons un peu plus loin – qui a poussé à désigner l’ouvrage par le terme de « Passerelle Eiffel ». On a entendu à l’époque quelques protestations, car le vrai concepteur de la Passerelle est l’ingénieur Paul Regnauld. Il était pourtant aisé de comprendre que faire connaître l’ouvrage par le terme « Passerelle Regnauld » n’eut pas obtenu l’effet escompté… Dans le même oibjectif quelques uns ont voulu minorer le rôle de Gustave Eiffel ; à les en croire, s’il n’était pas ingénieur et concepteur de la Passerelle, c’est donc qu’il n’était qu’un modeste chef d’équipe.

La vérité est que son employeur, Charles Nepveu, lui confia en totalité la réalisation du chantier, le laissant libre d’opérer à sa manière pour construire l’ouvrage. A seulement 26 ans, et alors que la technique de la construction métallique est une nouveauté en France, on ne peut pas dire que ça soit une petite responsabilité.

L’évocation trop souvent superficielle des rôles des uns et des autres a également entraîné une confusion entre la hiérarchie de la Compagnie du Midi et celle de la Compagnie Générale des Matériels de Chemins de Fer, laissant imaginer une sorte de concurrence entre Régnauld et Eiffel. Or l’un et l’autre ne sont pas dans la même chaîne hiérarchique, comme le montre le tableau ci-dessous :

Eiffel n’avait donc de comptes à rendre qu’à Charles Nepveu. Lequel lui faisait totalement confiance. Régnault avait conçu et dessiné les plans de la Passerelle ; Eiffel dessine les plans d’exécution. Ce sont deux tâches distinctes, et l’exécution ne nécessite pas moins de talents.

La construction commence en 1958. Eiffel applique alors des principes de base déjà connus depuis une vingtaine d’années, ce qui est peu de temps en matière d’évolution architecturale :

  • la construction à croisillons : appliquée aux constructions en bois, elle est connue depuis des siècles. C’est en Angleterre qu’on l’applique pour la première fois en 1844 (pont en treillis de l’ingénieur Harrisson), puis en France en 1857 avec le Pont de Culoz). Eiffel innove en standardisant la production des pièces afin d’accélérer la production, et en installant une riveteuse mécanique sur la rive droite de la Garonne.
  • le fonçage des piles à l’air comprimé : sitôt Eiffel recruté, Nepveu lui enseigne cette technique, consistant à chasser de l’air dans le tube métallique de la pile, fin que les ouvriers travaillent à pied sec. Eiffel va accélérer le processus en appuyant sur le tube à l’aide d’une presse à vapeur. Dans son Traité sur les ouvrage métalliques, Régnauld lui-même explique combien le procédé mis au point par Eiffel est novateur.

Le pont est inauguré en la fête de l’empereur Napoléon III, le 15 août I860. Pour l’occasion, les extrêmités de la Passerelle arborent, au nord les armes de Paris, au sud les armes de Madrid. Le tout sur un surprenant et imposant décor de tours médiévales, réalisé en bois, comme on le voit sur cette photo de l’épreuve du viaduc de Paludate. Styles médiéval qui est en réalité en totale homogénéité avec le styles des piles du pont.

« PASSERELLE » ?

On a pu lire assez fréquemment que ce terme est dû à la galerie servant de passage pour les piétons, qu’Eiffel posa en 1862 suite à la demande des bordelais. Explication qui ne trouve sa source dans aucun document.

En revanche on trouve, dès 1846 un plan où l’emplacement du pont ferroviaire est déjà désigné par le terme de « Passerelle ». Soit quatorze ans avant sa construction, et deux ans après le premier pont anglais en treillis. Les ingénieurs savent déjà que le futur pont aura une incomparable apparence de légèreté. Il s’en suivra que, pour cette raison, et jusque dans les années 1900, tout passage supérieur métallique en France sera désigné sous ce terme. Le tablier rectiligne et l’absence d’arches de pierre justifie le qualificatif.

Le terme de « passerelle » sera même utilisé à tort et à travers pour tout ce qui sera assimilé à un passage réalisé dans une technologie audacieuse. La Cie du Midi tardant à s’engager sur la construction du nouveau pont, un journaliste écrira « La Cie du Midi se traîne d’atermoiement en atermoiement (..) elle amuse le public par des simulacres de chaînes sans fin et de passerelles sous-marines« .

Bien plus tard, alors qu’Eiffel a terminé son chef d’œuvre parisien, un compositeur béglais, Lodoïste Lataste, écrit dans son ode à Bordeaux :

Salut, beau viaduc jeté sur la Garonne
Imposant et léger comme un arc-en-ciel
Celui qui te conçut a parfait sa couronne
En créant à Paris la belle Tour Eiffel.

La comparaison avec un arc-en-ciel éclaire parfaitement le terme de passerelle, qui pré-existait à l’ouvrage d’art.

LE PERSONNAGE

Eiffel est un authentique meneur. Il n’est pas homme à se laisser faire, et on peut croire que, selon l’expression populaire, il fallait que ça marche droit.

Mais Eiffel compense aisément sa rigueur par un profond sens humain. Un jour un ouvrier tombe dans la Garonne : c’est Eiffel qui saute dans le fleuve pour le sauver ! Une autre fois, un accident sur une pile cause la mort d’un ouvrier : Eiffel stoppe le chantier pendant plusieurs jours pour trouver la cause. Qui restera non élucidée. Eiffel gagne définitivement le respect de tous.

A l’issue du chantier, les ouvriers offrirent à Eiffel une coupe en bronze, ainsi qu’une médaille sur laquelle ils avaient fait inscrire « Hommage – Reconnaissance ». Mais déjà les frères Péreire avaient remarqué le jeune chef de chantier, et allaient en faire l’ingénieur que l’on sait.