La ligne Bordeaux-La Sauve-Eymet

L’histoire de cette ligne est fort compliquée, car non seulement le terminus de la ligne a changé plusieurs fois, mais de plus la ligne a appartenu à cinq propriétaires successifs, les quatre derniers exploitant un réseau étendu au delà de la Gironde.

En 1873 la création de la ligne de chemin de fer d’interêt local de la « Compagnie de la Sauve » est suscitée par le transport de pierres de l’Entre-Deux-Mers jusqu’aux deux marchés spécialisés de Bordeaux, qui se trouvaient sur les quais, l’un devant le futur Château Descas, l’autre en amont du Pont de Pierre à La Bastide. Mais le gain de rapidité offert par la voie ferrée allait évidemment causer un effet d’appel pour bien d’autres marchandises, et naturellement les voyageurs.

La gare bordelaise de cette ligne était située en contrebas de l’extrémité nord de La Passerelle. Pour cette seule raison elle reçut le nom de « Gare de Bordeaux-Passerelle ».

La Gare de Bordeaux-Passerelle dans les années 1970 : le pont ferroviaire se trouve sur la gauche, à l’arrière du photographe.

Mais les fondateurs, les ingénieurs Riche et Chrétien, ont sous estimé le besoin en matériel roulant, et le chiffre d’affaire ne suit pas. Un an plus tard, la Compagnie des Charentes rachète la ligne.

Que vient faire une compagnie charentaise ici ? La réponse est simple : commercialement, atteindre Bordeaux est une opportunité à ne pas rater. La Compagnie des Charentes entre déjà en Gironde, via St-Mariens, et atteint Coutras et Libourne. Elle espère alors descendre sur Bordeaux en faisant passer ses trains par la ligne du Paris-Orléans, et aboutir dans une nouvelle gare située à l’intersection de la rue de la Benauge et du Quai Deschamps.

Cette jeune compagnie connaît un vif succès, mais qui va contribuer à sa fin : à Angoulême l’arrivée de ses marchandises saturent la compagnie du Paris-Orléans, occasionnant des retards de plusieurs semaines. Pour harmoniser l’ouest de la France, l’Etat opère la fusion des petites compagnies, et ainsi, en 1878, la ligne de la Sauve passe dans le réseau désormais appelé « Administration de l’Etat ». Il était temps, car une modernisation devenait urgente : la ligne ne connaissait que trois trains par jour, qui mettaient trois heures pour parcourir la ligne, soit près de 25 km ! Ce qui – il faut le noter – restait bien plus rapide que le transport par charrette…

L’Administration de l’Etat fait de la ligne de La Sauve une priorité, mais Freycinet, Ministre des Transports, impose son fameux plan qui vient bouleverser les prévisions. Simultanément la Compagnie du Paris-Orléans travaille en arrière-plan pour récupérer cette ligne, pour la bonne raison qu’elle est située dans sa zone géographique. C’est chose faite en 1883, avec pour conséquence que l’Administration de l’Etat n’a plus de gare à Bordeaux, et doit faire entrer ses trains dans les gares des compagnies concurrentes, ce qui coûte cher en redevances ! L’Etat reprend alors un précédent projet de la Compagnie des Charentes, consistant à créer une gare à l’angle du quai Deschamps et de la rue de la Benauge (future caserne des pompiers). Mais ceci est une autre histoire…

Pour la Compagnie du Paris-Orléans, le raccordement de la ligne de La Sauve à La Benauge est incohérent : les trains partant de la Gare d’Orléans doivent entrer sur la gare de Bordeaux-Passerelle, puis repartir en sens inverse vers La Sauve. Elle raccorde alors directement la ligne sur la Gare d’Orléans (ci-dessus), en traversant , à La Benauge, la ligne de Paris et Nantes. Ce qui va immédiatement entraîner le déclin de la Gare de Bordeaux-Passerelle.

La ligne est prolongée vers Eymet à partir de 1892 (inauguration en 1899). Ci-dessous : la Gare de La Sauve après le prolongement, direction Eymet sur la gauche.

Mais la petite gare de Bordeaux-Passerelle est de plus en plus incommode. Son isolement est aggravé en 1935 avec la fin du Tramway de Cadillac qui passait à quelques mètres sur le quais de la Souys.

Le trafic voyageurs prend fin en 1951. La ligne est démantelée à partir de Sauvetat-du-Dropt en 1954.

Accident à Espiet dans les années 60. Sur le wagon plat on peut lire « Frontenac » inscrit à la craie.

La fondation, en 1982, d’un Comité intercommunal n’empêchera pas une nouvelle restriction du trafic à Espiet en 1987 et la fermeture de la ligne en 1994.

Ci-dessus : au cours d’une balade sur la ligne, en gare de La Souys un petit boîtier fixé sur un poteau attire l’attention… Y aurait-il encore quelque chose à l’intérieur ?… Et là, surprise, le « carnet de contrôle des tournées » est toujours dedans, près de 10 ans après la fermeture de la ligne ! Un réexamen récent a permis, malgré une importante dégradation, de dater la dernière tournée d’inspection à l’automne 1997, signée par un agent nommé Brunat. Naturellement ce carnet est désormais conservé par notre association.

En 2010 la ligne disparaît pour laisser place à une piste cyclable. Il n’en restait plus qu’un tronçon de 5 km de Bordeaux-Benauge à La Souys.

Cette station était restée intacte depuis 1930, avec ses voies et ses barrières de passages-à-niveau. La recherche effrénée du « risque zéro » a fait disparaître les rails et les barrières, considérés comme « facteur de risque », et le remplacement par une surface bien plane a fait disparaître l’âme d’un lieu unique dans toute l’agglomération bordelaise.

La gare de La Souys en 2004. Restée intacte depuis les années 30, elle méritait une préservation en l’état. Les barrières, devenues rares, ont été détruites.

Le raccordement de la ligne de La Sauve

La Sauve : un patrimoine ferroviaire de retour !